Du management au leadership
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Négociateur de crise

Aujourd’hui le leadership est à la mode. Partout, dans les media, sur les plateformes, dans la bouche des formateurs, ce mot sonne comme le saint-Graal, appelant quiconque à exercer des responsabilités de chef d’une équipe à se comporter non plus comme un manager, mais comme un leader. Cette notion de manager se retrouve d’ailleurs complètement dépassée, jugée « old school », aux antipodes de la modernité et de ce qu’il est de bon ton de mettre en pratique dans le monde de l’entreprise ou au sein des administrations.

Comment expliquer cela ? Que possède le leader que n’a pas le manager ? En quoi le leadership est-il une pratique plus vertueuse que le management, et quelles sont ses caractéristiques ? La question est de savoir si on a simplement changé un mot pour un autre, qui finalement désigne la même chose, ou si l’introduction, l’invention de cette notion, a bel et bien réformé la façon de diriger. Est-ce simplement du marketing ou bien la fulgurante percée du leadership dans nos pratiques cache-t-elle quelque chose de plus profond ?

Mettons un terme au suspense dès maintenant : le leadership a ceci de fondamentalement différent avec le management qu’il ne s’adresse pas uniquement aux personnes en position de chef : il est un concept universel applicable par tous, plus proche d’un état d’esprit que d’une pratique ou d’une technique. C’est en cela qu’il est révolutionnaire.

Pour saisir les différences entre les deux concepts, il est important de prendre le temps de faire un détour par la théorie, afin de mettre des mots sur une expérience que l’on croit unique et issue de l’empirisme. D’autres se sont frottés à la question avant nous, alors autant exposer les pistes déjà explorées.

Au cours de ma carrière, j’ai eu la chance de suivre un cursus de formation à l’Académie du FBI, à Quantico, Virginie (USA). J’ai pu constater que cette notion de leadership était omniprésente. J’ai été frappé par le fait qu’elle était enseignée à tous, y compris à ceux qui n’étaient pas censés prendre des fonctions d’encadrement au sein du FBI, de la DEA ou des différentes structures de law enforcement américaines.

Cette notion de leader est fondamentale chez nos alliés américains, et comme bien souvent avec le soft power US, nous finissons nous aussi par en adopter les codes. Depuis des années, les fictions américaines nous renvoient l’image du héros, du chef, capable de mener seul ses troupes au combat, vainqueur de toutes les batailles et inspirateur de tout un peuple. Il était logique que cette vision des choses se décline aussi dans le monde de l’entreprise, aux États-Unis comme en Europe et partout dans le monde.

Mais ne commettons pas l’erreur de penser que l’irruption du leadership se résume à une simple propagation des valeurs américaines. Ce serait sous-estimer les universitaires américains, dont la force est de théoriser très efficacement ce genre de notion. Et dans le cas du leadership, cela a donné naissance à bon nombre de théories, qui partagent toutes une même vision de la position centrale du leader comme source d’inspiration pour les membres de son équipe.

Toutes les théories du leadership reposent sur un principe : le leader exerce un pouvoir d’influence sur ses collaborateurs, en lieu et place de l’utilisation de sa position hiérarchique dans l’organisation.

Cette notion d’influence est fondamentale. Loin de l’image archaïque du manager qui scandait dans les couloirs « c’est moi le chef, ce n’est pas à moi de changer, c’est à vous de vous adapter à moi ! », le leader nouvelle génération est une source d’inspiration pour ses collaborateurs, et par son comportement il joue le rôle de modèle.

C’est en cela que la notion d’influence est prépondérante en matière de leadership : la responsabilité du leader est d’influer sur les comportements des membres de son équipe pour atteindre un objectif partagé collectivement grâce à un haut niveau de performance.

Cette notion était complètement absente de l’enseignement du management traditionnel, dans lequel le manager était nommé à un poste d’encadrement, et disposait d’un pouvoir légitime de direction lié à sa position formelle dans l’organisation : son autorité était liée à sa position. Les managers s’attachaient d’abord à bien gérer, et s’appuyaient sur l’autorité liée à leur poste. A l’inverse, les leaders s’efforcent d’influencer, guider et orienter leurs collaborateurs, sans forcément abuser de leur position hiérarchique. L’influence du leader est placée au centre de son action, alors qu’elle était négligeable chez le manager.

De même, le manager pense que les décisions qu’il prend sont déterminées par l’organisation, qui elle-même est dépendante de l’environnement dans lequel elle opère. Il a donc un point de vue déterministe. Au contraire, le leader pense que ses choix influencent l’organisation qui à son tour influencera son environnement. L’individu est replacé là aussi au centre de l’organisation, et repensé en tant qu’acteur principal de celle-ci.

Cela ne veut pas dire que tous les managers d’hier doivent être remplacés par les leaders de demain. Beaucoup d’entre eux ont dans leur « style » de management quelque chose de différent, qu’on a pour réflexe de qualifier « d’humain ». Et si ce côté « humain » de leur façon de faire n’était que la résultante des effets positifs d’une façon différente de pratiquer un management plus proche finalement du leadership ?

Nous l’avons dit, toutes les théories du leadership reposent sur l’importance de l’influence du leader. Mais elles diffèrent les unes des autres lorsqu’il s’agit de définir cette influence et de préciser de quelle façon elle se déploie et est utilisée par le leader. Certaines théories sous-entendent que le leader est né avec des caractéristiques qui font de lui un bon chef. C’est le cas des théories qui placent au centre de l’action du leader son charisme, concept aux contours flous qui serait sensé être l’unique raison de son influence sur les autres. Mais ce présupposé, reposant presque entièrement sur des caractéristiques personnelles du leader, voire physiques, condamne inévitablement ceux qui ne sont pas dotées desdites caractéristiques à ne jamais avoir la capacité d’être des leaders. Ces théories ne sont pas satisfaisantes car trop dépendantes de qualités dites « innées » de l’individu concerné.

Mais alors quid de cette fameuse influence ? Est-il envisageable « d’apprendre » à être un leader, c’est-à-dire d’être celui qui se sert de son influence sur ses collaborateurs de manière vertueuse ? Pour répondre à ces questions, il est nécessaire de comprendre que le leader influence ses collaborateurs pour les inciter à se dépasser, sans qu’il ait besoin d’agiter une quelconque menace ou promesse de récompense, comme pourraient le promouvoir certaines autres théories du leadership, dites « transactionnelles ». Car il n’est pas question de cela dans le cadre qui nous occupe : la relation entre le leader et ses collaborateurs ne repose pas sur une possible transaction (positive ou négative), le contrat qui les lie n’est pas de cette nature. Au contraire, l’influence que le leader exerce sur ses collaborateurs transcende toute notion de récompense pour ne reposer que sur l’envie d’accomplir collectivement la vision du leader, et l’adhésion à une entreprise plus grande.

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Éditions TTA, 2023
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