Le rachat de Crédit Suisse par UBS, en mars 2023, a été marqué par des négociations tendues, des pressions gouvernementales et un contexte global de méfiance. Les coulisses de cette transaction hors norme révèlent les enjeux et tensions du monde de la finance en temps de crise.
L’absorption de Crédit Suisse par sa rivale l’UBS, au printemps 2023, s’est faite en un temps record et sous la pression des régulateurs. Dans la tourmente depuis quelques mois, les actions de Crédit Suisse avaient plongé après qu’Ammar Al Khudairy, président de la Saudi National Bank, principal investisseur de CS, a rejeté l’idée d’y injecter plus d’argent. A ce jour, les dessous de ce qui a engendré la crise restent encore opaques. Mais les discussions qui ont conduit au rachat de CS sont un bel exemple de ce qu’il ne faut pas faire lors d’une négociation sous haute intensité.
S’entourer de conseillers
Dès l’instant où le gouvernement suisse a abandonné l’idée de sauver la banque ou de la nationaliser, son rachat par l’UBS est devenu inévitable. Afin de négocier au mieux les conditions de l’accord, chaque partie a alors mobilisé son équipe de négociateurs de soutien (experts) pour obtenir le meilleur deal. Crédit Suisse s’est tourné vers la banque d’investissement Centerview, Axel Lehmann et Ulrich Körner (respectivement Chairman et CEO) ont sollicité l’expertise de l’ex-banquier d’UBS Piero Novelli, tandis que la maison Rothschild apportait son soutien aux administrateurs. De son côté, l’UBS a fait appel à JP Morgan et Morgan Stanley. Les parties avaient un objectif commun partagé : éviter la faillite de Crédit Suisse, qui aurait eu des conséquences incalculables pour les marchés et les épargnants. Jusque là, tout était conforme à une négociation dans les règles de l’art.
Des facteurs contextuels défavorables
La première erreur a été de mener la plupart des négociations à distance, via Zoom, avec très peu de contacts directs entre les parties. Cette distance a engendré des frustrations, en particulier au sein du personnel de Crédit Suisse, dont l’avenir était incertain. “Il n’y a pas d’empathie dans des échanges à distance, souligne Laurent Combalbert. Or, dans une négociation, l’empathie est nécessaire pour créer un lien de confiance avec la partie adverse. C’est important, car une négociation est d’abord une relation de confiance”.
Dans cet environnement particulier, chaque partie a tant bien que mal défini ses enjeux et objectifs, ainsi que sa ligne de conduite.Cependant, les facteurs contextuels objectifs n’étaient pas favorables. Le temps était compté, en particulier pour Crédit Suisse, mise à mal par les marchés. Or, il est impossible de bien négocier dans l’urgence. En outre, la situation financière de Crédit Suisse lui donnait peu de marge de manœuvre pour négocier un deal favorable.
Des discussions sous haute intensité
Tout au long de la négociation, les parties ont dû tenir compte de la pression des décideurs institutionnels. Le gouvernement suisse, sous la houlette de la ministre des Finances Karin Keller-Sutter, a joué un rôle clé dans la coordination des discussions. Elle a elle-même été soumise à une très forte pression de la part de la France et des Etats-Unis notamment, qui exigeaient une action rapide et décisive pour empêcher qu’un vent de panique ne s’empare des marchés. La seconde erreur a été de céder à cet empressement en forçant un deal qui a créé des frustrations et entamé la confiance du public dans le gouvernement.
Les négociations ont en effet pris une tournure plus agressive au fil des journées, le triumvirat suisse (Karin Keller-Sutter, l’Autorité suisse de surveillance des marchés financiers (Finma) et la BNS) poussant en direction d’une transaction à laquelle Crédit Suisse restait farouchement opposé. UBS a aussi montré des réticences. Ses dirigeants ont clairement dit qu’ils ne participeraient au sauvetage de la banque rivale que si le prix d’achat restait bon marché. Ils ont aussi demandé des indemnisations pour une série d’enquêtes sur la culture et les contrôles de Crédit Suisse.
Selon le Financial Times, un autre acteur serait entré en scène : BlackRock. Sous la houlette de Larry Fink, l’entreprise américaine, actionnaire des deux banques, aurait exploré différentes options, y compris un rachat partiel ou une collaboration. Cependant, confronté à la complexité de la situation et aux réticences d’UBS, BlackRock aurait finalement décidé de se retirer.
Quoi qu’il en soit, les discussions ont pris une tournure de plus en plus tendue, culminant avec la rédaction d’une lettre par Axel Lehmann, exprimant qu’il était arrivé à un point de rupture et qu’il estimait inacceptables les conditions proposées par UBS. Finalement, sous la pression du gouvernement suisse (menace de révoquer le conseil d’administration de Crédit Suisse si ce dernier ne donnait pas son accord et demande à UBS d’augmenter son offre), les deux parties ont été forcées de trouver un terrain d’entente : un rachat à 3,25 milliards de dollars sous forme d’actions (bien loin de la valeur réelle de CS), accompagné de solides garanties de l’État pour l’UBS. Au détriment des détenteurs d’obligations CS, effacées sans contrepartie.
Un “mariage forcé”
L’exemple d’UBS-Crédit Suisse illustre les conséquences d’une négociation menée sous la contrainte et la menace (pratiques non éthique), dans un environnement hostile où la confiance partagée est faible. Pour cette raison, l’accord a laissé un goût amer à de nombreux acteurs impliqués, plusieurs médias parlant de “mariage forcé”. Les principaux actionnaires de CS, en particulier – deux basés en Arabie Saoudite et un au Qatar – ont exprimé leur mécontentement face à l’opacité de l’accord et aux conditions imposées. L’affaire a aussi suscité une vague de mécontentements au sein de la population helvétique, sapant la crédibilité des autorités de régulation et de l’Etat.
Le rachat de Crédit Suisse par UBS restera comme une opération complexe, marquée par des négociations tendues et des enjeux colossaux. Elle illustre aussi la nécessité d’établir un climat de confiance partagée entre les parties lors d’une négociation, sans lequel des frustrations apparaissent. Une transparence accrue et une communication bienveillante sont essentielles pour déboucher sur un engagement durable des parties prenantes.