L’intelligence artificielle (IA) progresse à pas de géant. Ses applications ouvrent de nouvelles perspectives dans divers domaines, dont celui de la négociation. Une question se pose désormais avec acuité : sera-t-il bientôt possible de négocier à l’aide d’une machine ? Nous explorons ici cette possibilité à l’aune du rôle crucial de l’empathie et des émotions humaines dans les négociations.
En novembre 2022, la branche dédiée à la recherche sur l’Intelligence artificielle de l’entreprise américaine Meta a dévoilé CICERO, “une nouvelle IA capable de négocier et de persuader en langage naturel”. Meta AI a travaillé sur les agents virtuels dans le monde du jeu vidéo, cherchant à créer une IA capable de dépasser la simple manipulation de pièces sur un plateau de jeu.
CICERO est présenté comme le premier agent virtuel capable de surpasser les performances humaines dans le jeu de stratégie Diplomacy, qui est complexe et nécessite une compréhension des motivations des adversaires ainsi que des compétences en négociation, persuasion, et établissement d’alliances stratégiques. Testé sur webDiplomacy.net, une plateforme en ligne pour le jeu Diplomacy, CICERO a montré une efficacité remarquable en utilisant le langage naturel pour négocier avec d’autres joueurs et développer des relations de confiance. Il a obtenu un score plus de deux fois supérieur à celui d’un joueur humain moyen. Bien que CICERO soit actuellement limité au jeu Diplomacy, ses créateurs envisagent des applications potentielles dans de nombreux domaines du monde réel.
Négocier avec des fournisseurs
Les IA négociatrices commencent à faire leur apparition dans le secteur commercial. Certaines entreprises ont testé une IA pour négocier des contrats de vente ou d’achat, en analysant des données massives pour déterminer les meilleures conditions. C’est ce qu’a fait Walmart, confronté à la lourde tâche de négocier avec plus de 100’000 fournisseurs de produits et services divers. Une fraction importante – environ 20% – des contrats avec ceux-ci ne faisaient pas l’objet de négociations détaillées. Cherchant à optimiser ses marges sur ce type de contrat, Walmart International a lancé en 2021 un programme pilote de trois mois au Canada. L’objectif : tester la capacité d’un chatbot créé par Pactum pour négocier avec 89 fournisseurs de biens utilisés dans les magasins Walmart, tels que des chariots de magasinage. Le but était notamment d’améliorer les calendriers de paiement. Walmart a autorisé le chatbot à offrir des opportunités de croissance aux fournisseurs en échange de réductions de prix.
Les clients de Walmart ont aidé à former le chatbot de Pactum en fournissant des scénarios que l’algorithme a utilisés pour créer des scripts de négociation. Résultat : il a fallu 11 jours pour conclure des accords avec 64% des fournisseurs, avec à la clé une économie moyenne de 1,5 % pour Walmart. Lors d’entretiens subséquents, 83% des fournisseurs ayant conclu des accords se sont exprimés favorablement sur les négociations par chatbot. Ils ont particulièrement apprécié la possibilité de négocier à leur propre rythme plutôt qu’en temps réel. Fort de ce succès, Walmart a étendu la négociation par chatbot aux États-Unis, au Chili et en Afrique du Sud. À la fin de 2022, le chatbot avait conclu des accords avec 68% de ses fournisseurs, pour une économie moyenne de 3%.
IA et coach en négociation
Dans un article de la California Management Review, Holly Schroth, maître de conférences à la Haas School of Business, écrit que ChatGPT peut actuellement servir de conseiller utile, bien que limité, dans les négociations salariales. Schroth a posé des centaines de questions au chatbot dans le but de solliciter des conseils pour négocier un salaire. Il a constaté que ChatGPT donnait les réponses « les plus précises, pertinentes et applicables » lorsqu’on lui posait « une question spécifique, individuelle dans le cadre d’une discussion ».
Lorsqu’on lui a demandé des conseils sur la façon de formuler une demande de négociation salariale, ChatGPT a proposé des scripts incorporant des expressions de gratitude ou d’enthousiasme pour l’offre, une demande de discussion sur un sujet spécifique (tel que le salaire ou les objectifs de carrière), une description de ses qualifications pour soutenir ses affirmations, et des demandes formulées de manière collaborative et non menaçante.
Le chatbot d’OpenAI apparaît ainsi comme un outil pouvant être utile à donner un cadre et des conseils en amont d’une négociation. Mais il ne remplace par la réflexion stratégique à mener, notamment sur les objectifs à atteindre, la définition d’un point de rupture, la gestion de ses biais et de ses émotions au moment des discussions. C’est d’ailleurs un constat global en ce qui concerne l’utilisation de l’IA en matière de négociation.
L’humain, l’empathie et les émotions
Aujourd’hui, le buzz entourant cette technologie pousse beaucoup d’industries à vouloir l’utiliser en négociation. Même en diplomatie, des spécialistes étudient le rôle que pourrait jouer l’IA dans la négociation de traités internationaux et de conflits. Toutefois, les IA sont loin de pouvoir remplacer l’humain dans toutes les formes de négociation. Les interactions complexes, qui nécessitent une compréhension profonde des émotions et des intentions humaines, restent hors de portée de la machine.
En effet, dans une négociation d’affaires, l’empathie et la capacité à établir une relation avec la partie adverse sont essentielles. Ces aspects permettent de comprendre les besoins et les positions de l’autre partie, et de négocier un accord mutuellement bénéfique. Si les IA peuvent traiter des données et mimer certains aspects du langage humain, elles ne peuvent pas encore ressentir ou comprendre les émotions humaines de manière authentique. De plus, la question de la confiance dans les décisions d’une IA reste un sujet de débat.
En conclusion, bien que les IA aient fait d’énormes progrès, elles ne sont pas prêtes – et ne le seront peut-être jamais – à remplacer les humains dans les négociations complexes. La capacité à comprendre et à répondre aux émotions humaines reste un domaine dans lequel les humains surpassent encore les machines.