Dans le contexte complexe de la guerre entre l’Ukraine et la Russie, débutée en février 2022, les négociations de paix se heurtent à des obstacles majeurs, compromettant gravement toute tentative de résolution pacifique du conflit. Explications, sans entrer dans les enjeux géopolitiques qui sous-tendent cette guerre.
Confiance rompue
Dans une négociation, la confiance entre les parties est primordiale. “Le but est de chercher à s’entendre pour résoudre un désaccord. Or, sans confiance, s’accorder est très difficile”, relève Laurent Combalbert. Dans le cas du conflit russo-ukrainien, cette confiance fondamentale a été ébranlée dès les premiers mois du conflit, rendant la communication et la compréhension mutuelle presque impossibles. Très tôt, pourtant, dès février 2022, les parties souhaitaient négocier la fin des hostilités. Les belligérants (ukrainiens et russes) cherchèrent à arrêter la machine de guerre avant qu’elle ne s’emballe. Une première rencontre officielle se tint entre leurs représentants en Biélorussie. Puis le président turc Erdoğan les invita à Istanbul. Les pourparlers se tinrent les 10 et 29 mars à Istanbul et Antalya. Plusieurs points d’accord furent trouvés. Les Russes devaient se retirer, l’Ukraine devenir un Etat neutre, les provinces séparatistes de l’est devaient accéder à un statut d’autonomie comparable à celui de la Catalogne ou de l’Ecosse. Cet accord sur «la neutralité et la sécurité de l’Ukraine» devait être supervisé et garanti par plusieurs puissances européennes. Mais les crimes de Boutcha furent découverts, et les esprits s’échauffèrent. Boris Johnson, Premier ministre de Grande-Bretagne, aurait également fait savoir à Zelensky, début avril, qu’il ne fallait en aucun cas conclure cet accord de paix. Il fit de même en août 2022, après une nouvelle tentative d’Erdogan de faire l’intermédiaire entre les belligérants. Des connaisseurs de la politique américaine estiment que le gouvernement Biden préférait lui aussi la poursuite du conflit, autant pour affaiblir la Russie que pour protéger l’Ukraine. Quoi qu’il en soit, à partir de la fin de l’été 2022, les espoirs de négocier un accord de paix s’amenuisèrent. Les révélations d’Angela Merkel et François Hollande au sujet des accords de Minsk, utilisés pour gagner du temps en vue de renforcer l’armée ukrainienne, convainquirent les Russes que la parole occidentale ne valait rien.
Absence d’objectif commun
“La négociation repose sur un socle de faits avérés (SOFA), qui permet aux parties de s’entendre sur un contexte commun”, explique Laurent Combalbert. Sans objectif commun identifié entre les parties, la négociation est impossible. La logique de compétition prévaut, et les parties cherchent à vaincre par la force. Dans le cas de la guerre en Ukraine, ni la Russie, ni l’Ukraine (et occidentaux ne parviennent) à définir un objectif commun sur la base duquel négocier la paix. Cela conduit inévitablement à une dynamique de compétition où la force et la surenchère priment sur le dialogue. La fin de l’été et le début de l’automne 2022 ont été marqués par un accroissement des tensions de part et d’autre, avec le sabotage du gazoduc Nord Stream, ainsi que l’annexion russes de quatre régions du sud de l’Ukraine. A partir de novembre 2022, le président Zelensky a posé, dans une formule en 10 points, ses conditions pour négocier avec la Russie. Celles-ci incluent l’évacuation des forces russes, le recouvrement des frontières ukrainiennes d’avant la guerre, ainsi que de la Crimée. De son côté, le Kremlin assume la position suivante : tout plan de paix ne peut que débuter avec la reconnaissance de la souveraineté russe sur les régions annexées depuis septembre 2022.
Fausses positions et demandes irréalistes
Ces deux positions sont irréconciliables. Elles sont, en substance, irréalistes ou provocatrices pour la partie adverse. La position ukrainienne – la restitution de tous les territoires de l’Est et de la Crimée – pourrait être analysée comme une tactique pour attribuer à la Russie la responsabilité de l’impasse. La Russie, de son côté, adopte un « positionnisme » rigide, refusant elle aussi d’assouplir ses demandes. “Tant qu’aucune des parties ne peut céder, toute négociation est impossible”, conclut Laurent Combalbert. Depuis l’hiver 2022, des interlocuteurs externes – le Brésil et la Chine… – ont bien essayé de mettre les parties autour de la table, mais rien n’y a fait, à tel point que le conflit s’est enlisé, la contre-attaque ukrainienne du printemps 2023 n’ayant pas eu les effets escomptés.
Jouer le jeu de la Russie
Dans le dossier ukrainien, un dernier élément mérite d’être relevé. Toute négociation nécessite de comprendre la perspective de l’adversaire. La dévalorisation ou la sous-évaluation de cette perspective est un obstacle de taille, affaiblissant les possibilités de trouver un terrain d’entente. C’est aussi une erreur tactique de taille dans le cadre de la conduite de la guerre. A l’inverse, chaque partie essaie normalement de « cacher sa lumière », c’est-à-dire de paraître fort en cas de faiblesse, et faible en cas de position de force. Cette stratégie inspirée de Sun Tzu a été appliquée de manière contre-productive par l’Occident. En sous-estimant la puissance militaire russe, les chancelleries occidentales ont involontairement “caché la lumière” du Kremlin, contribuant ainsi à faire passer l’armée russe pour plus faible qu’elle ne l’était en réalité. Au détriment des troupes ukrainiennes.
En conclusion, la négociation de la paix dans le conflit russo-ukrainien est entravée par une combinaison complexe de méfiance, de stratégies contre-productives, de manque d’objectifs communs partagés et de positions intransigeantes. Ce contexte rend extrêmement difficile la recherche d’une solution pacifique et équitable pour toutes les parties impliquées.
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