C’est une question que l’on me pose très régulièrement à la fin d’une conférence ou au début d’une formation : quelle est la différence entre négociation et manipulation ? Pour ceux qui m’interroge, cette différence n’est pas évidente. Ils ont souvent tendance à penser que négocier, c’est utiliser des manœuvres dolosives pour l’emporter sur l’autre. C’est comme demander quelle est la différence entre la chirurgie et un sécateur : on peut très bien réaliser une appendicectomie avec un sécateur, mais ce n’est pas la meilleure façon de garantir un bon résultat chez le patient ni de maintenir une bonne réputation pour le chirurgien.
1. Quelques définitions
Commençons par définir les concepts de négociation et de manipulation. Ces définitions n’engagent que moi, mais ce sont celles qui me permettent de structurer les formations HERMIONE que nous délivrons au sein de TTA – The Trusted Agency.
La négociation est un processus global qui permet d’obtenir un accord dans une situation de désaccord exprimé opposant des positions divergentes, entre deux ou plusieurs parties prenantes, afin que chacune obtienne ce qui lui semble juste pour elle.
La manipulation est une pratique qui a pour objectif une emprise sur la pensée et sur les perceptions de la partie adverse. L’objectif est de faire croire à l’autre, à son insu, que son intérêt est de satisfaire nos propres demandes. Les techniques comme le mensonge, le bluff, le faux pivot, le top-to-top sont autant de moyens d’aller vite au résultat mais en impactant durablement la confiance et la qualité de la relation.
Pour aller un peu plus loin, il y a un autre concept que j’aimerais insérer ente négociation et manipulation : la persuasion. C’est la pratique par laquelle une des parties à la négociation tente de convaincre l’autre d’accepter ses positions ou ses demandes. Les techniques de persuasion orientent les faits pour les rendre plus acceptables ou plus séduisants aux yeux de la partie adverse : il peut s’agir de la rhétorique, de la séduction ou de l’influence pour parvenir à nos fins sans pour autant nuire à l’autre. La différence entre persuasion et manipulation ? L’intention.
2. L’intention change tout
Si nous reprenons le sens originel du terme manipulation, il nous renvoie à mani pulare, c’est-à-dire modifier volontairement avec la main. Dès lors que nous modifions volontairement l’impact que nous avons sur quelqu’un ou sur quelque chose, nous manipulons. Mais le terme a rapidement pris la connotation négative qu’on lui connait aujourd’hui et qui le marque du sceau de la malhonnêteté.
La négociation est avant tout un acte d’altérité qui amène chaque partie à s’intéresser à l’autre pour comprendre ses émotions, ses besoins et ses intérêts, sans essayer de lui nuire ou de lui porter préjudice. Et cette intention non-dolosive n’est pas évidente parce qu’elle impose un effort que l’on doit faire vers l’autre. Elle va à l’encontre de l’esprit de compétition naturel auquel nous poussent nos siècles d’évolution, que l’on appelle aussi le Darwinisme social. Quand les ressources se réduisent, la manière la plus facile de les obtenir est de les préempter avant les autres ou de les obtenir par la force ou par la ruse. C’est ainsi que la compétition est la stratégie la plus utilisée en négociation, parce qu’elle génère des résultats souvent plus importants et plus rapides que la coopération. Cependant, elle a un impact majeur sur la confiance et sur la qualité de la relation entre les parties prenantes. La compétition est une approche agressive de la négociation, dans laquelle une partie prenante veut gagner ce que l’autre va perdre, et qui ne voit essentiellement les gains à court terme sans espérer un engagement de confiance à long terme. La manipulation est l’outil des compétiteurs qui refusent l’affrontement et qui préfèrent la ruse à la force, au détriment de l’intérêt collectif des parties prenantes.
Notre intention détermine donc si nous persuadons ou si nous manipulons.
Dans le cas de la persuasion, nous essayons de convaincre de manière objective la partie adverse d’écouter nos positions et nous tentons d’induire le changement chez elle pour qu’elle modifie ses propres positions pour les accorder avec un objectif commun que nous partageons avec elle. Il n’y a de notre part aucune intention de nuire.
Dans le cas de la manipulation, nous trompons la partie adverse pour qu’elle adopte des positions qui nous sont favorables mais qui se révèleront, quand la vérité éclatera, être prises à son détriment. L’intention de nuire est consciente de la part du manipulateur.
3. La nécessité de coopérer sur le temps long
Dans un monde qui se complexifie chaque jour, seule une approche tournée vers le collectif permet d’obtenir des gains durables, et la manipulation ne sert jamais l’intérêt du collectif. Mentir, tricher, tronquer, être de mauvaise foi sont des pratiques qui remettent en cause la confiance entre les négociateurs et leurs organisations respectives. La véritable négociation n’utilise donc jamais la manipulation car cette pratique non-éthique ruine la relation entre les parties prenantes et leur envie de construire ensemble un accord juste et durable, profitable pour tout le monde.